La télévision est visée dès lors que l’on aborde la réflexion sur la responsabilité des médias dans le jeu démocratique. A l’aube de l’an 2000 et des réseaux électroniques, des modèles futuristes de vote direct se profilent, entraînant la suppression des agoras politiques. Quel sera le prochain forum de nos sociétés ?
Réflexivité et interactivité, mots magiques : sésames pour les partisans du tout réseau ou signes de menace d’un mondialisme qui effraie ? Les médias, à l’heure actuelle, ne savent plus très bien comment traiter les avancées prodigieuses des nouvelles technologies. La frontière avec la réalité risque d’être de plus en plus floue. L’identification forte à un groupe tend à s’estomper : la rationalisation des sondages montre une société parcellisée, sans unité véritable. La conscience politique du monde, au sens noble du terme, ne semble être qu’un jouet sur l’autel du tout-spectacle et de la surmédiatisation à outrance.
Ainsi, la tendance actuelle des médias de favoriser l’émotion, voire la » pulsion » dans le traitement de l’actualité serait inéluctable. Comme l’a rappelé Slobodan Milacic, professeur de droit, au sujet d’un débat sur la » démocratie électronique « , la démocratie directe est présentée comme le stade supérieur du développement de la démocratie alors que par son interactivité croissante et la recrudescence des sondages, elle brise le contrat politique. Ce » pacte » protège en réalité les élus des mouvements de l’opinion. En fait, d’après Sérillon, la démocratie électronique ne risquerait rien . Ainsi, selon lui, il s‘organise à l’heure actuelle une » surface de démocratie « , où les possibilités de débat et de rencontres sont en fait totalement anéanties. Les bouleversements actuels posent de plus de manière brûlante le problème de la représentativité. Qui a la légitimité de s’exprimer ? La majorité ou l’élite ?
Hourtin a consacré de nombreux débats à cette question. Les » exclus » ont été au cœur de nombreuses discussions : » Qui parle et qui médiatise-t-on dans les médias ? » . Le constat a peu varié depuis quelques années : l’appropriation du discours est une illusion. J. Charon, sociologue, a constaté dans le cadre de l’Observatoire des Pratiques et des Métiers de la Presse, une réticence de la part des médias régionaux à aborder des thèmes comme l’islamisme ou l’exclusion. La complexité des situations sociales est peu abordée, on assiste à un phénomène d’évitement. Le citoyen n’a pas l’occasion de s’exprimer, ce qui semble paradoxal à l’heure de l’interactivité et de la toute-puissance des sondages. L’enseignement du journalisme est une fois de plus sur la sellette. Charon préconise un enseignement qui prenne en compte la responsabilité sociale du journaliste.
Réhabiliter la responsabilité
D’autre part, l’Etat est également en cause. L’Etat et les hommes politiques » communiquent » de plus en plus. Et cette parole est de moins en moins informative pour devenir de plus en plus séductrice. » L’opinion n’existe qu’en réponse à une question « , rappelle le président de Communication Publique. L’enjeu ne serait pas une remise en question du droit à l’expression des citoyens mais une réhabilitation de la responsabilité. La disparition des acteurs sociaux induirait un face à face entre l’Etat et l’opinion, ce qui change considérablement la nature de la communication publique. Presque, l’Etat se retrouve devant une » boîte noire « , l’opinion. Dans un débat sur » l’Etat face à la démocratie d’opinion « , le célèbre essayiste constate que la lourdeur de la société française l’empêche de se créer de nouveaux intermédiaires. Les mécanismes autrefois efficaces de contre-pouvoirs semblent être anesthésiés par cette inertie. Il est vrai que le développement des réseaux a lieu au temps d’un changement de société majeur. On peut légitimement se demander s’il s’agit d’une cause ou d’un effet.
L’Université d’Eté de la Communication a tenté d’apporter des clefs à la réflexion sur les médias électroniques et la démocratie. Certains, comme Jacques Revon, journaliste à France 3, ont une conception assez alarmiste, voire caricaturale de l’utilisation des réseaux. En effet, le citoyen » cybernétique » serait totalement replié sur lui-même, ne communiquant que par l’intermédiaire d’une technologie inerte, presque moribonde. D’autres, comme Joël De Rosnay, croient à » l’homme symbiotique » qui vivrait en totale harmonie à l’intérieur des réseaux et qui jouirait de la formidable perspective du don d’ubiquité. Les réseaux faciliteraient les relations transversales : pour le scientifique, la nouvelle voie de la démocratie serait la » cogestion adaptative » qui se développera à l’avenir avec les réseaux.
Quelle sera la réalité de la démocratie demain ? L’analyse de ces évolutions est nécessairement prospective. Joël de Rosnay dit se placer résolument dans la perspective du 3ème millénaire. Rendez-vous donc à la 1016ème édition de l’Université d’Eté de la Communication !