economie collaborative
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Et si l’économie collaborative était la dernière utopie à notre disposition ?

L’économie collaborative, dont l’un des principes est de concrétiser des projets sans intermédiaires directs, de citoyen à citoyen, ou de consommateur à consommateur, est-elle une nouvelle utopie ou un nouveau business ? S’agit-il du rêve enfin réalisable d’un changement de société ou de l’occasion pour quelques gros malins de s’enrichir sur le dos des internautes de tous pays et de tous supports numériques ? Les deux bien sûr, comme le montre en un parfait symbole la liste des intervenants de la OuiShare Fest.

En effet, quoi de commun, au premier regard, entre un Nicolas Ferrary, directeur France de Airbnb qui participe au festival, et un Bernard Stiegler, philosophe qui préfère quant à lui parler d’économie contributive que d’économie collaborative ? (voir Bifurquer – Il n’y a pas d’alternative ) Sauf que cette dichomotomie ne date pas d’hier. Déjà, dans la deuxième moitié des années 1990, ce qu’on appelait la net économie semblait à la fois l’irrémédiable tombeau et la mise en œuvre pratique de certains rêves des pionniers de l’Internet. Et ce d’autant que l’utopiste sincère et l’opportuniste tranquille se retrouvent souvent mixés en une seule et même personne, une seule et même organisation, chantant l’utopie de la collaboration et ramassant d’un même élan les ruisseaux de billets verts, réels ou virtuels.

Première clef de compréhension du paradoxe : l’économie collaborative tente d’explorer de nouveaux modèles de fonctionnement… au cœur d’une économie qui n’a rien de collaboratif, et tout d’un bon vieux système d’exploitation de l’homme par l’homme, gouverné par la recherche du profit ou plus prosaïquement par le besoin immédiat des sous nécessaires à la vie ou à la survie de tout un chacun.

Deuxième clef : la consommation collaborative n’est qu’une part de cette économie qui rêve (parfois) de remplacer l’ancienne. Et une part pas si neuve, comme le montre le sondage commandé à l’Ifop par la famille de plateformes de commerce A little : A little Market (« Achetez, vendez uniquement du fait-main »), A little Mercerie (« Achetez, vendez tout pour créer ») et A little Epicerie (« Achetez directement aux producteurs »). « Acheter malin » des produits et services « plus respectueux de l’environnement », c’est bien, mais ce n’est pas tout à fait du même ordre que d’être un contributeur de Wikipédia, de participer au développement d’un logiciel libre, de monter un fab lab ou de faire la construction d’une extension de maison à Perpignan soi-même , son éolienne ou sa ruche connectée en open source. Or c’est l’ensemble qui, justement, participe à la construction d’une autre économie…

L’économie collaborative, pour peu qu’on puisse la définir, est impure. Elle reflète nos besoins et désirs contradictoires. La vertu d’un événement comme la OuiShare Fest est d’en construire une démonstration foutraque, elle-même imprévisible et promise à mille prises de bec entre réalistes et utopistes. Sauf que face à la pauvreté de notre paysage politique, à la démotivation de tous et à la débandande de notre économie « classique », que Bernard Stiegler qualifie avec finesse « d’économie de l’incurie », ces utopistes qui tentent de concrétiser leurs rêves ici et maintenant sont peut-être bien plus réalistes que ceux qui se revendiquent comme tels, businessmen s’installant en Irlande et autres docteurs colorant de vert pomme numérique leurs vieux cauchemars marketing.

Les 5, 6 et 7 mai 2014 se tient à Paris la deuxième édition du festival international OuiShare Fest, dédié à « l’économie collaborative ». Son programme, cette année, se veut un reflet de « L’âge des communautés », avec une explication aux couleurs doucement militantes : « Qu’elles partagent des valeurs, des savoirs, des ressources, un espace physique ou numérique, les communautés transforment les villes, les organisations et l’action citoyenne. »

Soit. Mais que penser de cette promesse alors que l’un des fleurons historiques du genre, Airbnb, vient de boucler une levée de fond de 450 millions de dollars, a installé son siège social dans ce paradis fiscal européen qu’est l’Irlande et se retrouve aujourd’hui dans le viseur de la justice new-yorkaise qui suspecte l’angélique start-up de proposer des offres de sous-location illégales ?