Le nomadisme des activités immatérielles (ou nomadisme numérique) plonge les villes dans une terrible incertitude. Jusqu’à présent, elles concentraient hommes, travail, pouvoirs et argent. Mais aujourd’hui, le travail en réseau permet aux entreprises de s’installer dans n’importe quel coin de la planète pourvu qu’il soit connecté. Et chacune d’emporter dans ses valises emplois, capitaux et impôts. L’enjeu des villes aujourd’hui est donc de comprendre cette nouvelle réorganisation du travail pour pouvoir s’y adapter.
La France accuse un retard considérable pour mesurer ces mutations dans la répartition du travail. « Nous avons besoin de nomenclatures pour définir les nouvelles professions. Dans le dernier recensement qui date de 1990, 70% des emplois du privé sont comptabilisés sous la catégorie « autres » ! », une chargée de mission à la Datar. La notion d’entreprise a également fortement évolué. Les sièges sociaux ont considérablement diminué en terme de surface ; les centrales sont délocalisées en province ou à l’étranger pour des raisons de compétitivité ; dans les centres des villes, la télématique s’est substituée aux agences de voyage et autres prestataires de services.
« A Venise, les marchandises drainaient l’information. Maintenant elle les précède et elle peut se gérer de n’importe où, n’importe quand. Ce n’est donc pas vers la ville, où les plafonds sont trop bas pour installer des systèmes informatiques performants, que se tournent les entreprises. Résultat : à Paris il y a quatre millions de mètres carrés de bureaux vides », ajoute t-elle.
Le tableau n’est tout de même pas totalement alarmiste pour la cité. Le télétravail nécessite un lieu de regroupement minimum des personnes qui a toutes les chances de se tenir en ville. Mais pas forcément dans celles que l’on croit. La question de la hiérarchie des villes sur notre territoire est on ne peut plus d’actualité. A Paris par exemple, on crée autant d’économies d’échelles que de « déséconomies ». « Les décideurs locaux doivent apprendre à rapatrier les richesses économiques, en inventant des lieux de vie adaptés aux nouvelles exigences des entreprises. Et notamment les services marchands car sans eux il n’y a pas de prélèvement d’impôts », témoigne Alain d’Iribarne, directeur de la recherche au laboratoire « Economie-Sociologie-Travail » du CNRS.
Les nouvelles technologies peuvent entraîner à la fois et paradoxalement une fuite et un rapatriement du travail. La bagarre qui s’engage entre élus consiste non plus à construire des zones industrielles équipées de voies de circulation pour les personnes et les marchandises, mais d’offrir la ville la plus « connectée » possible. C’est ce qu’est en train de réaliser le jeune maire de Marly-le-Roi, en région parisienne : « Nous, maires, avons une responsabilité colossale car entre le mondial et le local, il n’y aura bientôt plus grand chose. C’est pourquoi j’ai constitué une équipe municipale avec des professionnels des nouvelles technologies à des postes importants. Il est temps de renouveler les savoirs et les compétences. La pyramide hiérarchique doit s’effondrer pour que les citoyens puissent travailler ensemble ».
Il ne suffit donc pas aux villes de se connecter pour attirer les entreprises, mais également de vivre à l’ère multimédia. Les hommes doivent être formés aux nouvelles technologies, à commencer par les employés municipaux qui devront fédérer cette nouvelle utilisation au sein de la ville. Les mairies doivent apprendre à sortir de leurs murs, à échanger entre elles pour éviter une mort à petit feu assurée. « Les jeunes vivent déjà avec Internet et la civilisation réseau. Si les décideurs ne l’intègrent pas, nous allons tout droit vers une fracture sociale », explique t-il.
Cependant, un obstacle se pose sur le chemin de l’intégration des technologies numériques : les relations humaines. Une société technologique ultra-performante effraie nombre d’individus. Les citoyens ne vont-ils pas regretter le sourire d’une employée – même s’il se fait rare – lorsqu’ils se retrouveront face à un automate froid et mécanique ? Quelle société les élus sont-ils en train d’inventer sous prétexte de capter les richesses ? Le maire d’une ville de Gironde, garde les pieds sur terre. Il faut considérer le réseau simplement comme un outil : « Je n’ai pas décidé de mettre ma secrétaire au service informatique. J’ai mis l’informatique au service de ma secrétaire, ce qui fait toute la différence ».
Les maires sont avant tout des élus locaux et ils ne doivent pas oublier leurs responsabilités envers leurs contribuables directs. « Nous avons mis en place une carte de paiement à puce multi services, pour renforcer le commerce de proximité de Marly. Il est créateur et fixatif et d’emploi. C’est donc l’un des deux pôles que nous devons privilégier, avec l’ouverture sur les entreprises au réseaux mondiaux », objecte t-il enfin.